Comment le cerveau s’adapte-t-il aux événements stressants vécus par les minorités, en particulier les membres de la communauté 2SLGBTQIA+?
Cette question est au cœur d’une étude sur le stress des minorités menée par le Dr Andrew Nicholson, directeur de la recherche clinique à l’Institut Atlas pour les vétérans et leur famille, et son équipe de recherche.
Le stress des minorités désigne le stress auquel les personnes sont confrontées lorsqu’elles font partie d’un groupe minoritaire ou qu’elles sont marginalisées dans la société. Ce stress peut découler du fait de leur orientation sexuelle, de leur genre, ou de leur identité raciale ou ethnique minoritaire qui sont stigmatisées par la société, et comprend l’exposition à des expériences de discrimination, de violence, de crimes haineux et de micro-agressions. Les personnes confrontées à ce type de stress peuvent intérioriser des stéréotypes négatifs, cacher leur identité ou présenter des pensées, des émotions, des comportements et des mécanismes d’adaptation préjudiciables en réponse au sentiment de rejet qu’ils éprouvent.
« Ce qui a été constaté à plusieurs reprises dans la littérature scientifique, c’est que ces expériences de stress des minorités, dans tous les domaines, qu’il s’agisse de minorités en termes d’orientation sexuelle, de genre, de race ou d’ethnie, ont des répercussions significatives sur les résultats en matière de santé mentale », explique le Dr Nicholson.
S’il est bien établi que le stress des minorités est associé à un taux plus élevé de problèmes de santé mentale, y compris mais sans s’y limiter le trouble de stress post-traumatique, l’anxiété, la dépression, la consommation de substances et les idées suicidaires, les mécanismes neurobiologiques qui sous-tendent ce lien sont moins bien compris. En d’autres termes, comment le stress des minorités crée-t-il des changements fonctionnels dans le cerveau?
« Ce que nous essayons d’examiner, c’est comment nous allons d’un point A à un point B en ce qui concerne l’association de ces expériences avec un risque accru de maladie mentale ou une réaction de résilience en termes de santé mentale. C’est ce que nous essayons de découvrir dans le cadre de ce projet », explique le Dr Nicholson. « Comment le cerveau s’adapte-t-il à ces expériences? Quels sont les changements dans l’activité et les connexions cérébrales, et comment ces changements sont-ils associés à l’exposition au stress et aux résultats en matière de santé mentale? »
Dans le cadre d’un projet intitulé « Étude sur la mosaïque des minorités », le Dr Nicholson et son équipe mènent actuellement des recherches sur les effets du stress des minorités sur le cerveau et le corps, dans une perspective intersectionnelle. Ce travail est né d’un examen systématique qui a révélé que les études antérieures d’imagerie cérébrale sur les populations 2SLGBTQIA+ attribuaient souvent à tort les résultats aux fondements neurobiologiques de l’orientation sexuelle ou du genre.
« Lorsque j’ai examiné les données d’imagerie cérébrale issues de notre étude systématique, j’ai constaté de nombreux parallèles avec ce que nous observons dans les troubles liés aux traumatismes. Pourtant, les études attribuaient tous ces résultats aux fondements neurobiologiques de l’orientation sexuelle et du genre. C’est un énorme problème », explique le Dr Nicholson.
L’équipe a passé trois ans en phase de recherche qualitative, recueillant et analysant des informations pour mieux comprendre les expériences vécues liées au stress des minorités, du point de vue des participants. Grâce à des entretiens approfondis d’une durée de trois à quatre heures et à des discussions sur les expériences vécues par les personnes appartenant à une minorité multidimensionnelle, les chercheurs ont commencé à élaborer des outils, tels que de nouveaux questionnaires et des cadres théoriques. Ces nouvelles évolutions peuvent contribuer à une meilleure compréhension des aspects complexes des facteurs de stress des minorités.
Comment mesure-t-on le stress des minorités?
Le stress des minorités peut être classé en deux catégories : les facteurs de stress distaux et les facteurs de stress proximaux. Les facteurs de stress distaux des minorités désignent des événements externes tels que la discrimination, les micro-agressions, les crimes de haine ou les violences. Les facteurs de stress proximaux des minorités sont liés à des processus plus internes tels que l’anxiété d’être jugé, la peur du rejet et la stigmatisation intériorisée.
Comme l’explique le Dr Nicholson : « Les facteurs de stress proximaux concernent la façon dont vous intériorisez la stigmatisation associée à votre identité, la façon dont cela peut affecter vos émotions, vos comportements et vos pensées, et la façon dont vous pouvez dissimuler des aspects de votre identité en conséquence. »
Les participants à l’« Étude sur la mosaïque des minorités » effectuent des évaluations cliniques, remplissent des questionnaires sur leurs expériences en matière de stress des minorités et de santé mentale, et collaborent avec des chercheurs pour créer des scénarios personnalisés liés à des événements qui leur sont lus pendant leur scintigraphie cérébrale. Ensuite, grâce aux appareils d’imagerie du Centre d’imagerie cérébrale du Royal, l’équipe étudie comment l’activité cérébrale et la connectivité fonctionnelle sont affectées lorsque les participants écoutent des scénarios de blessures morales liées au stress des minorités. Des échantillons de sang sont également analysés pour évaluer les indicateurs hormonaux et les marqueurs inflammatoires du stress.
« L’objectif de l’étude est d’examiner comment le cerveau et le corps réagissent à ces expériences négatives. Nous nous intéressons donc aux marqueurs inflammatoires du stress chronique qui pourraient être associés à ces facteurs de stress des minorités. »
Cette étude est financée en partie par le programme Mobilisation des idées nouvelles en matière de défense et de sécurité (MINDS) et le Fonds Purge LGBT. Le Fonds Purge LGBT est une organisation canadienne à but non lucratif créée en 2018 qui gère un règlement de plusieurs millions de dollars provenant d’un recours collectif contre le gouvernement du Canada. Ce fonds a été constitué par des survivants de discrimination systémique et de persécution institutionnelle des personnes 2SLGBTQIA+ travaillant dans l’armée, la Gendarmerie royale du Canada et la fonction publique fédérale entre les années 1950 et le milieu des années 1990 – une période connue sous le nom de « purge LGBT ».
Michelle Douglas, directrice exécutive du Fonds Purge LGBT, affirme que l’Institut Atlas pour les vétérans et leur famille contribue à amplifier la voix des survivants de la purge LGBT, dont les perspectives ont souvent été exclues de l’histoire du Canada. « Les recherches menées à l’Institut montrent les effets du stress et de la discrimination des minorités sur le cerveau et le mieux-être », explique-t-elle. « Il révèle le coût profond de la marginalisation subie par les groupes minoritaires, y compris les survivants de la purge LGBT. L’Institut propose également de nouvelles approches en matière de soins et de rétablissement pour ces vétérans et fonctionnaires extraordinaires. »
Le Dr Nicholson souligne que ce n’est pas l’orientation sexuelle, le genre ou la race qui provoque de manière inhérente des effets négatifs sur la santé mentale. C'est plutôt l’exposition chronique au stress des minorités, qui est lié à la stigmatisation sociale constante de ces identités, qui affecte négativement le mieux-être mental. Cette distinction est essentielle, en particulier lorsqu’il s’agit de mettre au point des systèmes de traitement et de soutien efficaces et de favoriser la compréhension par la société des dures réalités auxquelles ces groupes minorisés doivent faire face quotidiennement.
Lorsqu’il est admis que les problèmes de santé mentale et les modifications du cerveau peuvent découler de la manière dont nous traitons les minorités dans la société, la stigmatisation de ces groupes peut diminuer et il est plus probable que les personnes concernées cherchent à obtenir de l’aide. Ces recherches éclairent également les politiques, contribuant à créer un monde plus équitable, plus inclusif et plus solidaire.