Découvertes des biomarqueurs cliniques de la dopamine et de la noradrénaline : impact sur la schizophrénie et la maladie d’Alzheimer

La recherche en santé mentale n’est pas encore aussi avancée que dans d’autres domaines médicaux, telles que les recherches sur le cancer ou les maladies cardiovasculaires. Tout comme le cancer peut se manifester de différentes manières d’une personne à l’autre, et tout comme un traitement peut s’avérer efficace chez une personne mais pas chez une autre, les personnes atteintes de dépression et d’autres maladies mentales réagissent différemment à différents traitements.

Nous ne comprenons pas encore assez bien toutes les causes des problèmes de santé mentale, comment les prévenir, ainsi que comment et pourquoi les traitements et les interventions fonctionnent ou non pour certaines personnes. Contrairement à d’autres maladies, il n’existe pas de tests cliniques approuvés pour les maladies mentales, comme les analyses sanguines ou pathologiques, en dehors de l’auto-évaluation et de l’auto-déclaration. Les personnes atteintes d’une maladie mentale doivent souvent essayer plusieurs traitements pour en trouver un qui fonctionne, le plus souvent après un processus long et difficile.

Il est urgent de trouver des traitements précis et rapides, et pour y parvenir, il nous faut des mesures objectives pouvant refléter la manière dont une personne bénéficiera d’un traitement spécifique. Ces mesures objectives – appelées « biomarqueurs » – sont des indicateurs biologiques et mesurables qui reflètent la gravité ou la présence d’une maladie. En d’autres termes, les biomarqueurs sont des indicateurs physiques qui peuvent aider à poser un diagnostic dans le cas de certaines maladies mentales et à choisir un traitement approprié, car ils permettent aux cliniciens d’identifier rapidement et de manière fiable le traitement approprié pour un patient donné. Cette approche a conduit à des percées dans le domaine des maladies cardiovasculaires, du cancer et des maladies infectieuses. Étant donné que les maladies mentales sont des maladies physiques du cerveau, l’impact de la découverte de biomarqueurs dans le domaine des soins de santé mentale ne devrait pas faire exception.

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Le Dr Clifford Cassidy, chercheur à l’Institut de recherche en santé mentale (IRSM) du Royal.
Le Dr Clifford Cassidy, chercheur à l’Institut de recherche en santé mentale (IRSM) du Royal.

En 2019, le Dr Clifford Cassidy, chercheur à l’Institut de recherche en santé mentale (IRSM) du Royal, ainsi que son équipe de recherche ont fait une découverte révolutionnaire : un biomarqueur cérébral qui utilise l’imagerie par résonance magnétique sensible à la neuromélanine (IRM-NM) pour mesurer la dopamine dans le cerveau, ce qui pourrait permettre d’identifier la psychose chez les personnes atteintes de schizophrénie. Grâce à l’utilisation de l’IRM-NM, le Dr Cassidy a confirmé que la neuromélanine peut servir de mesure de substitution non effractive de la fonction et de l’intégrité de la dopamine, et donc de biomarqueur de la psychose. L’espoir est que cette découverte puisse éventuellement être intégrée dans des contextes cliniques, afin d’aider les psychiatres à poser plus rapidement des diagnostics plus précis et à orienter les patients vers les bons traitements le plus tôt possible.

En cherchant un traitement efficace pour une personne atteinte de psychose, le processus d’essais et d’erreurs peut avoir des réelles conséquences sur le patient. Un médicament en particulier, la clozapine, peut avoir des effets secondaires assez dangereux qui peuvent même s’avérer mortels, obligeant le patient à faire des prises de sang régulières pour surveiller sa santé physique. On considère qu’il s’agit d’un traitement de dernier recours pour la schizophrénie. Les médecins commencent généralement par administrer des médicaments de première intention à leurs patients en raison des effets secondaires limités et de la sécurité de ces traitements. Cependant, les personnes qui prennent de la clozapine doivent subir un processus de titrage de dose avec leur médecin, ce qui exige beaucoup de temps et engendre des souffrances chez le patient, car la schizophrénie peut évoluer très vite, et si elle n’est pas traitée rapidement, elle peut faire des ravages.

Le Dr Cassidy utilise son biomarqueur d’IRM-NM au Centre d’imagerie cérébrale du Royal pour visualiser le taux de dopamine dans le cerveau de patients atteints de schizophrénie. Le taux de dopamine est un facteur clé pour déterminer quel traitement pharmaceutique sera le plus efficace chez une personne atteinte de schizophrénie. Les personnes présentant un taux élevé de dopamine sont plus susceptibles de mieux répondre aux médicaments de première intention contre la psychose. En revanche, les patients ayant un taux de dopamine normal sont plus susceptibles de mieux répondre à la clozapine. L’espoir et l’objectif de l’étude est que les chercheurs puissent utiliser l’IRM-NM pour observer ces différences cérébrales et déterminer la meilleure forme de traitement à administrer dès qu’un patient reçoit un diagnostic de schizophrénie – en éliminant le processus d’essais et d’erreurs, les effets secondaires inutiles et la perte de temps pour le patient.

En 2019, le Dr Cassidy a mis à profit ses compétences acquises lors de la création de l’outil d’IRM-NM pour examiner le taux de dopamine dans le cerveau et il a créé un outil d’imagerie –  qu’il décrit comme un conduit – qui permet d’examiner le neurotransmetteur de la noradrénaline. Tout comme la dopamine, la noradrénaline peut être étudiée en effectuant une scintigraphie de la neuromélanine. Ce nouvel outil a ouvert la voie à l’étude des maladies mentales liées à un déséquilibre de la noradrénaline, notamment la maladie d’Alzheimer et le trouble de stress post-traumatique (TSPT).

Le Dr Cassidy a travaillé aux côtés d’une équipe de Montréal qui mène des recherches sur la maladie d’Alzheimer en utilisant un ensemble de données unique. Cette équipe a récemment fait une découverte sur la façon de prédire la maladie d’Alzheimer à l’aide d’un test sanguin.

Cependant, ce que les chercheurs ne savent toujours pas, c’est pourquoi certaines personnes sont atteintes de la maladie d’Alzheimer et d’autres pas, et s’il est possible de prévenir la progression de la maladie aux stades précoces.

« Nous devons comprendre la façon dont la maladie se propage dans le cerveau », explique le Dr Cassidy. « Il y a de nombreux éléments qui vont mal dans un cerveau atteint de maladie d’Alzheimer, et nous voulons savoir lesquels sont les plus importants, ceux qui en déclenchent d’autres et ceux qui ne sont que des effets secondaires. »

Le Dr Cassidy et ses collègues de Montréal utilisent l’imagerie cérébrale pour examiner quatre mesures particulières – dont trois qui n’ont jamais été étudiées à si grande échelle et en parallèle – dans le cadre d’une étude de recherche de 200 participants.

L’équipe de recherche examine la bêta-amyloïde (dépôts qui forment des plaques autour des cellules du cerveau), la protéine tau (dépôts qui forment des enchevêtrements dans les cellules du cerveau) et la perte de tissu (matière grise) dans le cerveau à l’aide de l’outil d’IRM-NM du Dr Cassidy.

L’IRM-NM peut être utilisée pour mesurer la mort des cellules. Ainsi, l’équipe de recherche se sert de cet outil d’imagerie pour voir si une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer perd des cellules de noradrénaline et comment ce processus est lié à la protéine tau et à l’amyloïde dans le cerveau. La perte de neurones de noradrénaline est liée à la perte de matière grise. L’objectif de la partie de l’étude menée par le Dr Cassidy, qui pourrait être révolutionnaire, est donc d’observer comment la mort de la noradrénaline s’inscrit dans le cadre plus large des symptômes classiques de la maladie d’Alzheimer. 

« Il est possible que la perte du système de noradrénaline soit tout à fait pertinente pour un aspect de la maladie d’Alzheimer », explique le Dr Cassidy. « Par exemple, à l’égard des symptômes psychiatriques de la maladie d’Alzheimer, tels que le comportement impulsif et la dépression. Cela nous permettrait d’envisager d’éventuels traitements pour atténuer ces symptômes avec des médicaments qui ciblent le système de noradrénaline. En outre, l’atténuation de ces symptômes aiderait à gérer le fardeau de la maladie. »

Parmi les autres études portant sur les biomarqueurs mesurés grâce à l’outil d’IRM-NM auxquelles le Dr Cassidy travaille en collaboration avec d’autres chercheurs figurent : une étude examinant les médicaments pour le trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité chez les enfants et la capacité de prédire leur réponse au traitement en utilisant l’IRM-NM; une étude sur le trouble de la consommation de cocaïne et les anomalies de dopamine révélées par l’IRM-NM; ainsi que l’examen du signal d’IRM-NM chez les personnes atteintes d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT) en vue de mettre au point des biomarqueurs cérébraux cliniquement utiles pour déterminer quels patients répondront le mieux des traitements spécifiques du TSPT.

Cliquez ici pour en savoir plus sur les recherches du Dr Clifford Cassidy sur les biomarqueurs.