L’intelligence artificielle au service du diagnostic de précision et des traitements personnalisés en santé mentale

Les chercheurs du Royal exploitent l’intelligence artificielle (IA) pour apporter un diagnostic de précision et des traitements personnalisés aux soins de santé mentale.

L’utilisation de l’IA pour observer de près le cerveau 

Le Dr Georg Northoff, psychiatre, neuroscientifique et philosophe, utilise des réseaux neuronaux artificiels en combinaison avec l’imagerie cérébrale pour examiner et analyser l’activité neuronale qui définit la façon dont notre cerveau interagit avec le monde qui nous entoure.

L’imagerie cérébrale, telle que celle produite par l’appareil de TEP-IRMf du Centre d’imagerie cérébrale du Royal, permet aux chercheurs de voir les changements dans la fonction et l’activité cérébrales qui se produisent dans le cerveau lorsqu’une personne est atteinte d’une maladie mentale.

Les réseaux neuronaux artificiels sont des outils mathématiques et informatiques élaborés qui permettent de schématiser des modèles et de déceler la structure de l’activité complexe du cerveau.

Le Dr Northoff utilise la métaphore familière de l’iceberg pour illustrer comment ces deux outils peuvent améliorer notre compréhension du cerveau. Il explique que l’imagerie cérébrale nous permet de voir ce qui se trouve au-dessus de l’eau, tandis que les réseaux neuronaux artificiels permettent aux chercheurs d’aller plus en profondeur et d’observer de près les relations entre certains aspects particuliers du cerveau.

En examinant le cerveau de cette manière non effractive, les cliniciens vont au-delà de la compréhension des changements qui s’y produisent lorsqu’une personne est atteinte d’une maladie mentale afin de déterminer l’origine et le mécanisme de ces changements.

« La plus grande partie de l’iceberg est submergée sous l’eau, et c’est là que le mécanisme se produit », indique le Dr Northoff. « Nous pouvons introduire les données d’imagerie cérébrale d’une personne dans un modèle de réseau artificiel, et cela nous donne un aperçu de la manière dont sont causés ces changements que nous voyons sur l’imagerie. Nous pouvons observer quelles en sont les caractéristiques sous-jacentes, et ces caractéristiques nous aident à poser un diagnostic. »

Cela ouvre également la porte à la conception de traitements personnalisés très efficaces et fondés sur l’activité neuronale du patient – non seulement des médicaments, mais aussi des traitements non pharmaceutiques comme la musicothérapie et les techniques de respiration.

À titre d’exemple, le Dr Northoff se souvient d’une jeune patiente venue le consulter avec sa mère. La patiente n’a pas dit un mot pendant le rendez-vous. Lorsque le Dr Northoff lui a demandé pourquoi elle ne parlait pas, elle a répondu qu’elle ne pouvait pas suivre le rythme de la conversation, il lui semblait que tout le monde parlait trop vite.

Le ralentissement des pensées et des mouvements est un symptôme précoce courant de la dépression. Comprendre ce qui provoque ce ralentissement dans le cerveau pourrait aider à diagnostiquer et à traiter la dépression de manière plus efficace.

Le Dr Northoff explique que les données d’imagerie cérébrale permettraient de saisir les changements qui se produisent dans le cerveau lorsque ces symptômes se manifestent. Ces données peuvent ensuite être intégrées dans le modèle de réseau neuronal artificiel pour en examiner la cause et les effets – c’est-à-dire l’activité et les connexions entre les différentes parties du cerveau qui entraînent l’apparition du symptôme. Ces connaissances sont utiles à la fois pour confirmer un diagnostic et pour adapter les traitements aux symptômes.

« Nous n’avons pas beaucoup de biomarqueurs objectifs en psychiatrie actuellement. Le diagnostic est subjectif et repose sur l’observation du médecin. C’est notamment parce que nous ne connaissons pas encore les mécanismes sous-jacents des différentes maladies mentales », explique le Dr Northoff. « Le traitement du diabète donne un bon exemple de l’importance de ces connaissances. Dans le cas du diabète, les symptômes sont présents dans l’ensemble du corps et sont liés au glucose, lequel est à son tour modulé par le pancréas et l’insuline. Grâce à ces connaissances, nous savons comment traiter le diabète en modulant l’insuline en fonction de la glycémie du patient. Nous utilisons l’imagerie cérébrale et les réseaux neuronaux artificiels pour obtenir des informations similaires sur le cerveau et donc adapter le traitement des troubles de santé mentale. »

Dans le cas de la jeune patiente du Dr Northoff, l’imagerie cérébrale et les réseaux neuronaux artificiels ont pu être utilisés pour analyser la perturbation de la vitesse de son cerveau et donner un aperçu de la manière d’adapter les interventions pour l’aider. Le résultat : une thérapie musicale guidée par l’IA qui commencerait à un tempo que le cerveau de la patiente peut traiter, puis augmenterait progressivement pour encourager l’activité neuronale du cerveau à s’accélérer également. Le Dr Northoff compare cela à une thérapie physique dans laquelle une personne qui veut courir commence par marcher et augmente progressivement sa vitesse, entraînant ainsi ses muscles à courir.

Lisez cet article du Ottawa Citizen pour en savoir plus à propos de cette recherche révolutionnaire sur le cerveau. Vous pouvez également consulter le site Web de Georg Northoff à l’adresse www.georgnorthoff.com.

Des outils d’IA pour identifier les risques de suicide et aider les personnes en crise

Le Dr Zachary Kaminsky, biologiste moléculaire et titulaire de la Chaire de recherche DIFD et Mach-Gaensslen sur la prévention du suicide au Royal, utilise l’intelligence artificielle dans ses recherches pour identifier les personnes qui présentent un risque accru de suicide. Cela permet d’intervenir et d’apporter un soutien qui pourrait sauver des vies.

Le Dr Kaminsky a mis au point un algorithme prévisionnel de risque de suicide par intelligence artificielle heuristique (SAIPH, Suicide Artificial Intelligence Prediction Heuristic) qui analyse les modèles de discours dans les données publiques de Twitter pour aider à prédire le risque de suicide. Cet algorithme évalue non seulement les futurs risques de pensées suicidaires d’une personne, mais permet aussi de déterminer à quel moment elle sera à risque, grâce aux données publiques contenues dans les messages sur Twitter.

Le Dr Kaminsky décrit l’IA comme un véritable outil de travail permettant de construire des modèles qui classent les données et décèlent les schémas qu’elles contiennent. Cette capacité est associée à des connaissances spécialisées afin de créer des outils de prévision des risques d’une très grande efficacité. 

Par exemple, les messages de Twitter peuvent contenir toutes sortes de données et d’informations sur le comportement des utilisateurs. Au lieu d’intégrer simplement les données des réseaux sociaux dans l’algorithme, le Dr Kaminsky et son équipe les ont d’abord distillées en fonction des concepts qu’ils jugeaient importants pour comprendre le suicide. Ils les ont ensuite utilisées pour construire l’algorithme prévisionnel de risque de suicide par intelligence artificielle heuristique.

Le Dr Kaminsky remarque que le même processus peut être utilisé pour créer des outils dans notre système de soins de santé. Par exemple, l’utilisation de l’IA pour analyser les données de dossiers de santé pourrait fournir des indications sur les traitements les plus efficaces pour différents patients.

« En ce qui concerne la psychiatrie, nous devons être en mesure de comprendre comment traiter les gens avec des options thérapeutiques qui vont fonctionner pour eux », indique-t-il. Il explique que l’utilisation d’outils d’IA pour analyser un vaste ensemble de données pourrait permettre de mieux comprendre la réponse au traitement. Ces informations pourraient ensuite être adaptées aux outils de prise de décision clinique.

Il est toutefois important de noter que le Dr Kaminsky ne prévoit pas que les décisions médicales seront prises par l’IA seule. Les outils d’IA fourniront plutôt des informations que les médecins pourront intégrer dans leur propre processus décisionnel.

Le DR Kaminsky, qui possède une expertise en biologie moléculaire, constate que les informations fournies par l’IA peuvent provenir de différents types de données. Il peut s’agir de données provenant de dossiers de santé, ou encore de données biologiques issues de notre génétique. Au fond, explique-t-il, il s’agit souvent d’un « mélange des deux ».

« Nous travaillons à l’élaboration d’un outil qui, à l’avenir, indiquera non seulement quelles personnes sont à risque, mais aussi quel traitement leur administrer en fonction de la compréhension des différentes caractéristiques biologiques sous-jacentes », dit-t-il.

De nombreux patients atteints de troubles de santé mentale doivent actuellement passer par une période d’essais et d’erreurs avant de trouver un médicament qui fonctionne bien pour eux. Les outils fondés sur l’IA ont le potentiel d’aider un médecin à déterminer plus précisément le médicament à prescrire ou la thérapie à recommander.

« Ces outils peuvent aider à trouver des modèles que nous n’avions pas trouvé auparavant, ce qui peut conduire à la rationalisation des soins », ajoute-t-il. « L’intelligence artificielle nous donne l’espoir de pouvoir faire ces choses. »

Lisez cet article publié dans la revue npj Digital Medicine (par Nature) pour en savoir plus sur la façon dont le Dr Kaminsky utilise l’IA pour prédire le risque de suicide à l’aide des données des réseaux sociaux.