La kétamine soulage durablement la dépression grave

Pour de nombreuses personnes atteintes de dépression grave qui ont essayé différents médicaments mais n’ont pas trouvé de traitement efficace, la kétamine est une intervention susceptible de changer leur vie.

À faibles doses, la kétamine (un agent anesthésique largement utilisé depuis plus de 45 ans) permet de réduire rapidement les symptômes dépressifs chez 50 à 60 % des patients. Qui plus est, elle permet de réduire les idées suicidaires presque immédiatement. Dans certains cas, les patients qui ont reçu des perfusions de kétamine pendant des épisodes dépressifs ou suicidaires ont déclaré avoir ressenti des effets positifs soit immédiatement après la perfusion, soit au bout de 24 heures.

Bien que les effets du traitement de kétamine se soient avérés étonnamment rapides, ils n’étaient pas durables.

Jusqu’à maintenant.

Dans le cadre d’une nouvelle étude novatrice, l’équipe de recherche du Dr Pierre Blier, directeur de l’Unité de recherche sur les troubles de l’humeur à l’Institut de recherche en santé mentale (IRSM) du Royal, a pu démontrer que la kétamine est non seulement efficace pour traiter rapidement les personnes atteintes de dépression grave ou d’idées suicidaires, mais qu’elle peut également avoir des effets significatifs et prolongés.

Selon les résultats de l’étude publiés dans l’American Journal of Psychiatry, les perfusions répétées de kétamine (faibles doses administrées par voie intraveineuse) peuvent avoir des effets antidépresseurs durables chez les patients atteints d’une dépression réfractaire aux traitements. L’étude a montré que les personnes qui ont répondu à la kétamine ont ensuite connu une réduction soutenue de leurs symptômes dépressifs grâce à des perfusions d’entretien hebdomadaires.

« Il s’agit de la première étude qui a démontré que nous pouvons réduire la fréquence des perfusions de kétamine une fois que le patient a réagi au traitement, tout en maintenant les effets antidépresseurs à long terme », affirme la Dre Jennifer Phillips, auteure principale de l’étude et chercheuse à l’Unité de recherche sur les troubles de l’humeur de l’IRSM.

Comment s’est déroulé l’étude?

Le but de cette étude était de déterminer la meilleure façon d’administrer la kétamine pour maximiser et prolonger ses effets antidépresseurs, afin de rendre les traitements aussi accessibles et efficaces que possible.

En se fondant sur les résultats de cette étude, l’équipe de recherche a pu démontrer pour la première fois que les effets antidépresseurs rapides d’une seule perfusion de kétamine pouvaient être rétablis et soutenus par des perfusions répétées (ce qui est assez atypique dans le cas des antidépresseurs conventionnels). Les résultats ont également montré que les personnes qui ne répondaient pas à une seule perfusion de kétamine pouvaient réagir au traitement au fil du temps, grâce à l’administration de multiples perfusions.

Dans la dernière phase de l’étude, l’équipe a mis à l’essai une stratégie réellement novatrice : les patients qui avaient réagi à l’administration de perfusions trois fois par semaine n’ont reçu qu’une seule perfusion par semaine pendant quatre semaines supplémentaires. L’équipe de recherche a ainsi pu conclure que les effets antidépresseurs de la kétamine pouvaient être maintenus chez tous les patients en réduisant la fréquence des perfusions.

« Grâce à cette étude, nous avons pu mettre à l’essai une façon beaucoup plus pratique d’administrer la kétamine en milieu clinique », ajoute la Dre Phillips. 

Le Dr Blier, qui étudie les effets de la kétamine sur la dépression depuis 2010 et qui a été le premier clinicien au Canada à administrer de faibles doses de kétamine à des patients, ajoute que les résultats de cette étude pourraient être révolutionnaires, tant pour la recherche que pour la pratique clinique.

« La morale de l’histoire pour les cliniciens et les patients est que si la kétamine ne fonctionne pas la première fois, il ne faut pas abandonner », explique-t-il.

Le Dr Blier recommande d’administrer des perfusions répétées pendant au moins deux semaines avant d’évaluer l’efficacité du traitement. Il précise que dans cette plus récente étude, par exemple, la majorité des patients ont réagi au traitement après trois perfusions, mais que certains ont nécessité jusqu’à six perfusions avant d’obtenir des résultats positifs.

La kétamine pourrait-elle réduire le besoin d’administrer une TEC?

Maintenant qu’ils connaissent l’efficacité soutenue de la kétamine, le Dr Blier et la Dre Phillips, de concert avec la Dre Natalia Jaworska, qui est directrice du laboratoire d’électrophysiologie clinique de l’IRSM, ont entrepris la prochaine étape de leur recherche, dont le but est de déterminer comment le traitement de kétamine se compare à la thérapie électroconvulsive (TEC), qui est actuellement le traitement privilégié pour les personnes atteintes d’une dépression difficile à traiter.

L’équipe exploite la technologie de neuroimagerie avancée du Centre d’imagerie cérébrale du Royal et a établi un partenariat avec quatre autres centres de recherche : le Réseau universitaire de santé à Toronto, l’Institut de recherche de l’Hôpital Sunnybrook à Toronto, le Providence Care Research Institute à Kingston et le Centre de recherche de l’Hôpital Douglas à Montréal. Elle vient d’ailleurs d’entreprendre une nouvelle étude se déroulant dans plusieurs centres qui est financée par l’Institut ontarien du cerveau par l’entremise de CAN-BIND, dans le but de comparer les taux de réponse et de rémission des patients au traitement de kétamine par rapport à la TEC.

Étant donné que le traitement de kétamine est beaucoup moins coûteux et moins exigeant en main-d’œuvre que la TEC, le Dr Blier estime que les résultats de cette étude pourraient s’avérer utiles pour accroître l’accessibilité aux soins en offrant d’autres options de traitements que les méthodes conventionnelles.

À l’heure actuelle, le traitement de kétamine n’est disponible que dans un petit nombre d’endroits au Canada et par l’entremise d’études de recherche en cours.

« Nous savons que lorsque la kétamine agit, elle agit plus rapidement, produit moins d’effets secondaires et est beaucoup moins coûteuse que la thérapie électroconvulsive », indique le Dr Blier.

« Nous savons maintenant que la kétamine a aussi des effets durables au fil du temps. Donc, si nous pouvons démontrer que la kétamine est tout aussi efficace que la TEC pour aider les personnes qui ont une dépression difficile à traiter, nous pourrions continuer à exploiter et à maximiser le potentiel de ce traitement alternatif. »